lundi 13 décembre 2010

DES TEMPS MERVEILLEUX nouvelle 2009

Lorsque Extrême Douceur Delasoy s’éveilla ce matin-là, des bribes d’un rêve étrange s’accrochèrent quelques instants à sa conscience comme les lambeaux d’un tissu déchiré.
En soupirant, avant même d’avoir ouvert les yeux, elle passa ses longs doigts fins sur sa nuque. C’était bien ce qu’elle pensait : elle avait encore oublié de régler le programmateur. Le minuscule implant sous sa peau arborait la forme bombée qui aurait du disparaître, si elle l’avait réglé pour n’avoir que des songes agréables. Au lieu de cela, une répugnante odeur de crasse mêlée de fumée, une foule de pauvres hères en haillons, tremblant de froid, des gémissements d’enfants, la poursuivaient avec force …
Elle se secoua mollement, s’obligeant à éloigner ces images inquiétantes venues de nulle part, puis, les yeux encore fermés, orienta sa pensée vers l’enthousiasmant "voyage en montgolfière" que son assistante de vie avait programmé pour la soirée.

Lascivement, elle s’étira comme une chatte au milieu de ses draps de plumise, ce nouveau textile transparent dont la température s’ajustait automatiquement pour garantir en toutes circonstances un confort parfait. Elle avait merveilleusement dormi bien que Béton Armé, son compagnon depuis maintenant trois ans, ait préféré passer la nuit avec sa nouvelle compagne virtuelle.
En soupirant, elle se posa une fois de plus la question : devait-elle oui ou non renouveler le contrat d’union temporaire qu’elle avait conclu avec lui ?
On approchait de l’échéance et elle n’avait toujours pas trouvé la réponse.

Certes, c’était un être doué d’une grande intelligence.
Comment aurait-il pu en être autrement après les tests de sélection draconiens qu’il avait du subir pour obtenir le droit de s’inscrire sur la liste de partenaires de prestige qu’elle avait consultée – au prix fort, elle devait en convenir, mais n’était ce pas la garantie d’une compagnie de qualité ?
Cependant, elle s’ennuyait avec lui. Il était toujours si raisonnable, si sensé, alors qu’elle ne rêvait que de bêtises et de fantaisie !

A propos de bêtises, il était temps de se lever. L’immense écran liquide affichait sur le mur l’emploi du temps de sa journée, soulignant d’un bip-bip insistant le retard qui s’accumulait.Elle le fit taire d'un geste et ferma les yeux pour s'acorder encore quelques instants de répit.
Dans les communs, à l’étage au dessous, elle entendait le robot qui allait et venait pour préparer les boissons énergisantes. A cette distance, elle ne pouvait percevoir le ronronnement discret de sa mécanique impeccablement huilée.
Elle pouvait l’être avec ce que lui coûtait son entretien !
Mais une telle dépense se justifiait aisément par la puissance de travail développée par la machine. Jamais un humain n’aurait accepté une telle cadence ! Le robot ne dormait jamais, n’émettait jamais aucune revendication ni ne souffrait de quelconques états d’âme. Toujours discret, toujours souriant, il accomplissait la multiplicité de ses tâches à la perfection.
Il y avait très longtemps, une autre civilisation avait développé un système de subordination entre êtres humains soi-disant égaux : la domesticité. Certaines personnes étaient employées par d’autres, moyennant rétribution financière, pour accomplir à leur place les corvées quotidiennes.
Cela n’avait rien à voir avec l’esclavage où il était établi que des êtres inférieurs se trouvaient de par leur nature au service de maîtres qui avaient droit de vie et de mort sur eux. C’était beaucoup plus hypocrite : on exploitait ces pauvres gens en leur servant une douce fable d’égalité !
Au moins ce système archaïque n’avait-il plus cours aujourd’hui. Les robots et les androïdes avaient pris le relais. Bien sûr l’esclavage subsistait, mais sous une autre forme, plus adaptée à l’évolution technologique de la société.
Et finalement tout le monde y trouvait son compte car c’était la seule possibilité de survie de ceux qui en bénéficiaient : les descendants de ceux que l’on avait appelés autrefois « les réfugiés climatiques ».

Abandonnant à regret la volupté de son "flexog", la jeune femme se leva avec agilité. Elle s’étira en contemplant l’océan de confort que représentait sa couche : une création révolutionnaire récente, qui massait les dormeurs en souplesse et les faisait se réveiller chaque jour plus en forme que la veille.
Extrême Douceur se l’était offert pour son anniversaire. Il complétait à merveille le luxe sobre du reposoir, sol moelleux, lumières douces, larges baies dont la luminosité s’adaptait automatiquement à la lumière du jour jusqu’à devenir parfaitement opaques la nuit.
Oui, décidément, ce "reposoir" - elle avait entendu dire qu’autrefois, au temps des domestiques justement, on appelait cet endroit une "chambre", – ce reposoir donc était un modèle du genre. Elle en était très fière.
Une "chambre" : quel drôle de nom ! A bien y réfléchir il lui semblait effectivement avoir entendu ce mot il y avait très très longtemps, dans son enfance… Peu importait !
Il lui revint que la veille,au moment de s’endormir elle avait décidé de mettre en pratique le plus rapidement possible l’idée qui lui était venue quelques jours auparavant. Toujours très occupée, elle n’avait pas encore eu le temps de la réaliser. Elle le ferait aujourd'hui, avant même de se lever! En soupirant, elle réalisa que jamais depuis qu’elle était à la retraite - dix ans déjà- elle n’avait eu aussi peu de temps à se consacrer !

En cochant mentalement les cases lumineuses qui s’effaçaient du mur au fur et à mesure qu’elles s’inscrivaient dans son cerveau par le biais de son implant frontal, elle s’attacha à trouver des excuses à toutes ses frustrations.
Il fallait reconnaître qu’avec ce deuxième enfant en préparation, ses activités culturelles et sociales, et tous ces androïdes, utilitaires et robots à gérer, elle n’avait plus aucune minute à elle !
Sans compter Béton Armé et Pari Tenu.

Du moins Pari Tenu, cet enfant qu’elle avait tellement désiré, semblait, lui, conforme à ses espérances.
Ses derniers scores étaient bons. Les deux implantations qu’il avait subies récemment s’étaient déroulées sans accroc. Il avait passé avec succès les tests de l’Etablissement et ainsi reçu l’autorisation d’être nommé. La cérémonie avait eu lieu en plein air, l’enfant accroché au-dessus d’un chœur de loups féroces. S’il s’était mis à pleurer, on aurait décroché la chaîne qui le retenait.
Mais il était resté stoïque, son petit corps tendu, ses poings serrés, des semaines qu’Extrême Douceur l’entraînait tous les soirs…
Au moins cette étape était-elle passée.
De retour à la structure-cube, elle avait pu ranger l’équipement de sensations (enregistrements, casque, lunettes et chaînes) jusqu’à la prochaine fois.

Son deuxième enfant serait une fille, elle en avait décidé ainsi, procédant elle-même comme c’était désormais l’usage légal, au tri des embryons congelés.
Elle espérait cette fois encore la réussite totale de son entreprise. Pas question d'avoir à supporter l’humiliation de tous ces géniteurs incapables qui rentraient bredouilles chez eux, après des années de dressage inefficace!
Mais elle avait bon espoir : d’une manière générale, les filles se révélaient meilleures à la performance et plus dures à la douleur.
Quoi qu’il en soit, Pari Tenu, bien qu’appartenant à la caste des mâles, avait bien mérité son appellation ! Il ne finirait pas comme tous ces rejets mal entraînés que la Protection Génétique exigeait d’éliminer.

Extrême Douceur Delasoy ne pensait jamais à ce que devenaient ces enfants. Elle savait que certaines âmes sensibles les récupéraient pour en faire de la main d’œuvre à bon marché. Ils étaient élevés dans des centres spéciaux où on les conditionnait pour obéir et accepter sans limite de se livrer à des tâches répétitives. Il fallait bien que quelqu’un s’en charge !
Bien entendu, ces enfants se voyaient retirer une bonne partie de leurs possibilités sensorielles et cognitives. Il allait de soi qu’on ne voulait pas les faire souffrir. Simplement les soustraire le plus dignement possible à un système où ils n’avaient pas leur place.
Dans ces conditions, elle était plus que satisfaite de la performance de Pari Tenu.
On ne pouvait pas en dire autant de Béton Armé.
Elle l’avait choisi selon les trois critères qui, avec l’expérience lui semblaient les plus importants dans le choix d’un compagnon de vie : d’abord la culture, ensuite le bon goût et enfin les performances sexuelles. Au début, elle avait été enchantée : il semblait répondre à toutes ses attentes.
Et puis rapidement il s’était avéré que sa culture était essentiellement politique, et elle, le fait de savoir si le gouvernement mondial était en phase ou non avec les dernières applications de la physique quantique, tout cela la barbait horriblement !
Quant à ses performances sexuelles, elles avaient rapidement pris un ton répétitif et ennuyeux qui la laissait sur sa faim. Bien sûr, il laissait sous-entendre que c’était de sa faute à elle – jamais il ne l'aurait exprimé clairement, sous peine de se retrouver attaché et privé de rations jusqu’à ce qu’elle décide que la punition avait assez duré.
Bien en avait pris au juge qui avait rendu cette décision qui depuis faisait jurisprudence, ravissait les femmes, et condamnait les hommes à se taire.

Pour le bon goût, ça, il fallait bien le reconnaître, il était toujours au top.
C’était d’ailleurs ce point qui avait poussé Extrême Douceur à conserver sa présence. Et qui la faisait encore aujourd’hui hésiter à renouveler ou non le contrat.
Que ce soit en matière de musique, d’habillement, de projections ou de séquences virtuelles, il était toujours le meilleur.
Elle faisait bien des envieuses autour d’elle et le savait.
Mais… cela ne lui suffisait plus.
Il faudrait qu’elle refasse une demande et consulte à nouveau les fichiers avant de prendre sa décision.


Pour l’instant, il lui fallait procéder à quelque chose de plus urgent : son idée devait être mise à exécution dans les plus brefs délais. Avec le chaton de sa bague, elle appuya sur un endroit précis de la cloison : un minuscule tiroir s’ouvrit, déployant la surface bleutée du "bloomer".
Elle y chercha les coordonnées d’un fournisseur d’images projetées, c’était ce qui manquait à ses soirées privées. Elle s’en rendait compte à chaque fois qu’elle se rendait dans des endroits branchés et avait décidé de se doter elle-même d’un tel équipement, coûteux, certes, mais tellement charmant !
Il y avait bien longtemps que l’on n’achetait plus de tableaux. Ces cadres ridicules, ces toiles peintes aux dimensions mesquines, tout cela datait d’un temps que personne n’arrivait plus à identifier vraiment.
Quand la vogue irréversible des projections avait-elle commencé ? Vraisemblablement le jour où un art-maker visionnaire avait décidé, plutôt que de commercialiser ses œuvres originales, d’en diffuser leurs projections. Ce procédé permettait de décupler, voire plus, les dimensions et l’impact des images. Sans parler de l’agrément que cela représentait pour les acquéreurs de pouvoir changer de décor en un simple clic.
Les initiés s’étaient rués sur le concept.
Pour sa part, la jeune femme avait fixé son dévolu sur les plaquettes d’un artiste qui proposait des vues brouillées de grottes à la lumière diffuse où s’entassaient des silhouettes humaines décharnées… Le degré d’horreur qui se dégagerait de ces œuvres projetées dans des proportions gigantesques aurait un succès fou lors de sa prochaine "séquence", elle en était sûre.
Et se réjouissait à l’avance du retentissement que ne manquerait pas d’avoir son audace jusque dans les plus hautes sphères.

Extrême Douceur s’attarda un instant sur la liste qui défilait devant ses yeux. Des paillettes de couleur signalaient le degré de satisfaction planétaire, actualisé en permanence, de chaque intervenant.
Ce bloomer regorgeait d’adresses délicieuses où tout était disponible pour le bien-être : il n’y avait que l’embarras du choix.
Grâce à cet outil génial, elle s’était fait livrer par caisson réfrigéré son délicieux "flexog".
C’était lui aussi qui lui permettait de sélectionner ses embryons, ses assistants, ses "fleurs figées".

Ses "fleurs figées", quelle merveille !
Imaginez : la fraîcheur de la fleur coupée fixée pour toute éternité grâce à un procédé iso-thermique breveté qui faisait fureur.
Le même qui servait à conserver les corps des défunts, chiens, fouines, rats de compagnie ou humains, avec l’apparente souplesse de la vie. Rien à voir avec cette pratique archaïque de la taxidermie ou celle depuis longtemps dépassée de la cryogénie. Quand à l’embaumement, on n’en parlait même pas ! D’ailleurs seuls les spécialistes de la Grande Histoire, dont elle était, savaient encore de quoi il s’agissait !
Cela lui fit penser qu’il y avait longtemps qu’elle n’était pas montée jusqu’à la Tour de Verre rendre hommage à ses parents.
Il faudrait qu’elle y emmène Pari Tenu pour les lui présenter, maintenant qu’il avait un nom, il était en droit de connaître ceux qui l’avaient précédé. Il faudrait qu’elle organise cela. Elle en parlerait avec l’androïde qui prenait soin de l’enfant et gérait son emploi du temps.

Elle considéra le minuscule boîtier avec adoration.
Ce "bloomer" était un véritable petit bijou.
Elle n’avait qu’à effleurer le minuscule écran de son index marqué pour en consulter la liste, visualiser l’objet et passer commande.
Et quel progrès depuis qu’elle s’était fait implanter sous la peau ce marqueur nouvelle génération !
Ah non, vraiment, à aucun moment elle n’avait regretté cet investissement !
Quant à la douleur que disait ressentir certaines femmes, c’était vraiment très exagéré ! A peine un petit picotement dans la dernière phalange au cours des jours qui avaient suivi son implantation...
A regret, elle effleura à nouveau la cloison de sa bague. Le minuscule tiroir se déploya, reprit le bloomer et le réintégra sans bruit. En le voyant disparaître, elle se félicita de l’opportunité de ce cadeau certes coûteux mais néanmoins indispensable.

Il y avait bien longtemps qu’elle se faisait ses cadeaux elle-même.
A vrai dire, elle ne se souvenait même pas d’un temps où il en aurait été autrement.
A l’instant même où cette pensée la traversait, une image fulgurante lui fit monter les larmes aux yeux : elle était très jeune, six, sept ans, peut-être, c’était son anniversaire… Mais qu’était ce donc qu’elle tenait sur les genoux ?
Cette petite boule de poils, soyeuse, ronronnante, ce n’était pas… un chat tout de même, non ce n’était pas possible, ils avaient tous disparu depuis si longtemps ! Tous mangés pendant la Grande Famine.
Oui, mais elle avait déjà trente ans pendant la Grande Famine...
Elle tapota la paume de sa main, fit apparaître son penseur et y imprima de penser à se faire enlever la mémoire ancienne, cela lui faisait trop mal.
De toutes façons, toutes ces stupidités n’étaient plus d’actualité.
Elle ne voulait pas élever ses enfants dans cet esprit de mièvrerie.

Allons, cela suffisait ! Assez de temps perdu !
A peine fut elle levée que les draps de plumise se remirent instantanément en place, tendant le lit de reflets irisés. Le soleil brillait maintenant dans le reposoir, déversé à flots à peine tamisés, suffisamment pour ne pas éblouir, mais pas assez pour assombrir l’humeur. Depuis qu’on avait appris à repousser les nuages, à faire pleuvoir sur commande et à détourner les grosses intempéries (cyclones, tornades, ouragans) sur les zones aujourd’hui désertées de la planète, chaque jour était devenu un enchantement.
Avec un gémissement de plaisir, elle se jeta sous la douche à propulsions, laissant la délicieuse fraîcheur de l’air pulsé l’envahir. Elle appuya à plusieurs reprises sur les boutons d’aromathérapie jusqu’à ce que l’air saturé de fragrances fleuries lui monte à la tête.
Autrefois on se lavait à l’eau : quelle gageure !
Se laver avec de l’eau !
Quelle richesse épargnée depuis ces temps reculés où on gaspillait le précieux liquide par millions de tonnes chaque jour !
Lorsque les Humains avaient pris conscience que cette richesse s’épuisait, les enjeux étaient devenus terribles. On avait craint d’assister à des conflits mondiaux. Heureusement, il n’avait même pas été nécessaire d’en venir à de telles extrémités : les pays les plus menacés s’étaient liquidés eux-mêmes à force de guerres intestines, massacres, épidémies, et autres catastrophes naturelles en tout genre.
Evidemment il se murmurait dans les sphères haut placées que ces conflits avaient parfois été déclenchés par de grandes puissances désireuses de voir disparaître ces peuples. Quant aux épidémies, certains virus avaient parus beaucoup trop sophistiqués et contre nature pour qu’on n’y voie pas l’intervention du génie humain.
Quoi qu’il en soit, la planète avait été sauvée. Et l’équilibre démographique retrouvé. Les gouvernements des pays survivants, qui jusque là n’en faisaient qu’à leur tête chacun dans leur coin, avaient réussi à trouver un terrain d’entente mais ce n’était que lorsque les premiers Aliens avaient débarqué qu’ils avaient senti l’urgence de faire front commun. Un gouvernement mondial avait donc vu le jour, dirigé par un consortium d’hommes d’affaires et de conseillers rompus aux techniques de la communication.
Depuis, les Aliens étaient repartis et toute l’Amérique du Sud, l’Afrique, et une bonne partie de l’Asie et de l’Océanie, du moins ceux de leurs territoires qui avaient été épargnés par la montée des eaux, s’étaient vus consacrées exclusivement à la culture de végétaux destinés à la production de biocarburants. On respirait.
Enfin c’était beaucoup dire. L’air était devenu si pollué qu’on ne pouvait affronter l’extérieur que masqué et ceux qui prétendaient s’être autrefois baignés dans la mer faisaient inexorablement l’objet des moqueries de leurs congénères.
Fadaises, fadaises ! De toutes façons, les nouvelles espèces de poissons génétiquement modifiés installés dans les espaces marins effrayaient Extrême Douceur qui n’avait jamais ressenti la moindre attirance pour ces rivages. Quoique… Elle se souvenait d’une petite fille courant sur une plage, les pieds dans le sable et les cheveux au vent. Et cette petite fille c’était elle.
Effacer ! Effacer !

Enfin son corps tout entier parfumé et satiné fut prêt pour affronter le supplice du miroir.
Relevant à pleines poignées ses lourds cheveux bruns, elle interrogea les cristaux liquides.
Mais non, elle était toujours acceptable.
La courbe de ses seins, la taille fine, la délicatesse de ses épaules, le galbe de ses jambes et jusqu’à la cambrure de ses reins, rien n’était outrancier.
Elle faisait bien son âge.
Mais pas plus.
Elle avait cent un ans.

Dans son "entredeux", l’équivalant du dressing du siècle précédent, elle fixa sur son front le bandeau équipé d’une mémoire virtuelle permettant de visualiser d’un simple frôlement la silhouette fournie par le port d’un vêtement. Passant la main sur les rangées de vêtements suspendus sur le rayon laser qui traversait la pièce de part et d’autre, elle hésita, choisit, se ravisa.
Elle se décida finalement pour une ample pièce de tissu incrusté de capteurs solaires, qu’elle drapa élégamment sur ses formes soyeuses. Une grosse broche de fleurs fixées vint parachever l’élégance de sa tenue.
La couleur du tissu variait avec la température ambiante. Pour l’instant, elle était d’un rose doux mais elle irait jusqu’au pourpre le plus profond en passant par toutes les nuances du violet dés qu’elle aurait quitté la chaleur douce de son habitat.

Dans le couloir, elle croisa la jeune Caramel qui avait été embauchée pour porter son deuxième enfant.
La jeune femme lui sourit gentiment de ses yeux bridés, mais Extrême Douceur ne répondit pas à son regard. L’Agence avait été ferme sur ce sujet : interdiction formelle de nouer quelque lien que ce soit avec les porteuses.
Au cours des dernières décennies, trop de femmes avaient passé outre ce mot d’ordre. Le résultat en avait été des désordres de toutes sortes : procès, dépressions, disputes et crises d’hystérie en tous genre.
Désormais plus question d’avoir à gérer ces dérives : les "confiants" devaient désormais signer une décharge, s’engageant à assurer les meilleures conditions matérielles aux porteuses mais dans la plus stricte indifférence. Tout manquement à cet engagement entraînerait immédiatement l’interruption du portage ou la suppression de l’enfant s’il était déjà né.
Extrême Douceur jeta néanmoins un regard intéressé sur le ventre de la jeune femme, qui s’arrondissait chaque jour davantage, et la laissa passer son chemin. Elle se souvint avec agacement des soupirs d’exaspération que sa décision d’avoir à nouveau recours à une porteuse avait suscités dans son entourage. Il était tellement plus facile de s’en remettre une fois pour toutes aux incubateurs dernière génération ! Au moins pouvait-on suivre chez soi jour après jour le développement de son enfant à travers la sphère transparente qui contenait le placenta artificiel, l’embryon, et tout un réseau de connexions technologiques complexes destinés à en faire un parfait être humain !
Evidemment cette solution se révélait beaucoup plus onéreuse que le services d’une porteuse, que l’on se contentait de nourrir et d’héberger- toute cette population de survivants s’en trouvant fort aise ! Mais Extrême Douceur tenait à ce que ses enfants soient mis au monde de manière traditionnelle. Un vieux réflexe archaïque, sans doute, qu’elle n’était jamais parvenue à s’expliquer.
Car il fallait tout de même supporter cette présence silencieuse dans la structure, et quelquefois, c’était pesant !
Comme d’habitude, la jeune femme baissa les yeux, s’effaça et disparut.
Au moins c’était une qualité qu’il fallait lui reconnaître : elle était discrète. Pas comme la bombe latine qui avait porté son premier enfant et s’était volatilisée ensuite avec le compagnon de vie de sa patronne ! Sur le coup, l’ingratitude de cette fille l’avait sidérée. Et puis, tout compte fait, elle s’était sentie libérée d’avoir ou non à renouveler le contrat de ce Brute Epaisse. Il était efficace, pourtant et très agréable à regarder, il fallait le reconnaître. Mais sa conversation sans intérêt lorsqu’il se trouvait en société lui valait les railleries de leurs relations.
Brute Epaisse… Elle soupira en pensant à son dos massif, à ses bras forts qui la serraient dans l’étreinte… Puis rapidement, elle passa à autre chose : son "caller" vibrait avec insistance. C’était sûrement Losange qui s’étonnait de ne pas avoir été contactée par son "assistée" ; à cette heure-ci, d’habitude, elles avaient déjà fait le point sur le déroulement de la journée.
Elle pressa légèrement sa temps d’un doigt à l’ongle parfait.
- Oui, Losange ?
La voix nasillarde se fit entendre, dissimulant mal son agacement :
- Je vous rappelle qu’aujourd’hui vous avez rendez-vous avec Rayure Blanche pour la visite de contrôle de vos clones. Le speeder est prêt, je vous attend sur le lanceur !
- D’accord, d’accord ! Mais je ne suis pas encore prête, patientez !
- Bien, Assistée.
La voix résignée se tut.
Un léger déclic marqua la fin de la communication.
Mentalement, Extrême Douceur appela l’Organisation et s’assura qu’on l’attendrait pour la Conférence. Elle avait promis d’y participer, bien que n’intervenant désormais qu’épisodiquement à titre de Conseillère Honoraire.
Officiellement "détachée", elle tenait néanmoins à garder le contact avec son ancien employeur.
Arrivée sur la plate forme centrale qui dominait le cube-structure, Extrême Douceur brancha le diffuseur de sons libérant de mélodieux chants de bélugas. Il était prouvé scientifiquement que la magnifique musique produite par ces animaux marins exerçait une influence bénéfique sur le comportement humain.
La réaction ne se fit pas attendre : Béton Armé surgit en coup de vent, moulé dans son habit de jour, coiffé et ciré de près. La cérémonie du rasage avait été abandonnée depuis longtemps. Aujourd’hui, les hommes se faisaient entièrement épiler et se recouvraient le corps d’une cire spéciale qui tendait la peau, effaçait les rides, et protégeait l’épiderme.
- Hello, chérie, fit-il d’un ton décontracté. Bien dormi ?
Celui-là, il ne perdait rien pour attendre ! Elle le regretterait cependant, car sa façon de la narguer l’excitait prodigieusement.
- Bien dormi, rétorqua-t-elle en dissimulant maladroitement son trouble.
- Allez, allez, détends-toi, ne reste pas crispée comme ça, on dirait une panthère prête à bondir !
- Une… quoi ?
- Une panthère !
- Une pan…thère? Qu’est-ce que c’est ?
- Ah j’oubliais ! Bien sûr… Eh bien c’était une bête sauvage particulièrement belle et redoutable qui a été complètement éradiquée au XXème siècle.
Béton Armé était un spécialiste de la faune disparue. Piquée au vif d’avoir été prise en flagrant délit d’ignorance, Extrême Douceur esquiva ….. :
- Belle et … redoutable… tu me flattes !
Ensemble, ils se dirigèrent vers la pièce où le robot avait préparé les collations du matin. Sur la table suspendue se trouvaient plusieurs récipients remplis de liquide de couleurs différentes. Des plantes vertes ondulaient sur le mur végétal d’où émanait en permanence la musique de l’eau. Une lumière bleutée baignait la pièce. Le robot, figé contre le mur, rechargeait ses batteries.
Se jaugeant du regard, Extrême Douceur et Béton Armé plongèrent leur diffuseur dans les verres qui leur étaient destinés. Ils avaient à peine commencé à aspirer la mousse soyeuse au délicieux goût de fruit qu’un petit garçon blond aux yeux bleus fit irruption sans prévenir. Derrière lui, courant et riant, l’androïde surgit à son tour et s’arrêta net en voyant le couple.
- Oh pardon !
Sa silhouette élancée, couronnée d’une flèche de cheveux noirs, lui donnait l’apparence des elfes dont les contes avaient bercé la lointaine enfance d’Extrême Douceur. Il récupéra l’enfant et l’installa sur le siège suspendu qui lui était destiné.
- Bonjour, Maman, cria l’enfant en se balançant.
- Bonjour mon cœur, répondit sa mère en se félicitant intérieurement de la vivacité de son rejeton. Elle l’avait bien choisi, bien préparé, jusque là, Pari Tenu avait satisfait tous ses désirs.
- Coucou, Béton Armé, tu m’emmèneras faire un tour dans le flyer aujourd’hui ?
- Je… balbutia l’homme en consultant sa compagne du regard.
- On verra, le coupa Extrême Douceur, tu dois d’abord travailler avec Xo13. Ensuite, si tu as des bons résultats, on verra !
- Oui oui, travailler, travailler ! cria l’enfant avec enthousiasme avant d’introduire à son tour le diffuseur de nourriture liquide entre ses lèvres.

Dans son coin, le robot regardait fixement devant lui, son visage impassible n’exprimant aucune émotion. L’ovale parfait de son visage, copié sur le matériel humain, avait la douceur de la soie. C’était un des critères qui avait guidé le choix d’Extrême Douceur. Ils étaient tous si performants, pourquoi en choisir un plutôt qu’un autre ?
Mais la Maîtresse avait toujours eu un faible pour les sensations tactiles agréables. C’était son luxe et elle ne s’en privait pas : lorsqu’elle était seule, elle appelait le robot et se faisait masser. Ses mains extrêmement fines et agiles ne se fatiguaient jamais. Et il poussait de petits gémissements de plaisir lorsqu’elle lui caressait la joue.
Extrême Douceur n’aurait avoué pour rien au monde le plaisir qu’elle prenait à ses séances. C’était son domaine personnel.
Son "jardin secret" comme on aurait dit autrefois… du temps où il y avait encore des jardins.
Son plaisir tenait finalement en peu de choses : alors que le contact de Béton Armé la laissait froide, toucher une peau presque humaine la remplissait de joie. Oui vraiment, elle était loin d’être blasée. Et elle espérait pouvoir transmettre cette particularité à ses enfants : tout était tellement galvaudé aujourd’hui !
Après avoir reposé son récipient vide, Extrême Douceur se dirigea vers l’enfant et lui effleura les cheveux.
- A plus tard, mon chéri, travaille bien. Si tu es sage tu auras le droit de faire un tour en flyer, d’accord, et peut-être t’emmènerais je à la Tour de Verre, tu te souviens, ça fait longtemps que nous n’y sommes pas allés, tous les deux…
- La Tour de Verre, articula l’enfant d’un ton pensif, non je ne vois pas,
tu es sûre que j’y suis déjà allé avec toi ?
- Oui, mais tu as raison, tu étais trop petit pour t’en souvenir. Bon on verra ça, en attendant, je file !

Sur le pont, Losange attendait docilement. En l’apercevant, Extrême Douceur pressa le pas. Elle aimait bien cette personne, qui lui était totalement dévouée. Une fois de plus, elle se fit la réflexion que le prénom qui lui avait été attribué était mal choisi. Cette fille toute en courbes n’avait rien de géométrique. C’était une victime de plus de la vogue de ces prénoms ridicules qui avait vu le jour plusieurs siècles auparavant, dans un pays aujourd’hui disparu qu’on appelait les Etats-Unis. Puis la tendance avait traversé l’Atlantique et atteint ce continent nommé Europe, libérant l’imagination débridée de parents qui manquaient souvent de bon sens. Extrême Douceur ne remercierait jamais assez ses géniteurs de lui avoir attribué un nom discret. Béton Armé ne pouvait pas en dire autant !
Accueillant son assistée avec un grand sourire, la ronde Losange l’aida à s’installer dans le speeder. Puis elle prit place à son tour dans la capsule transparente, lança le programme, et le mur devant elles s’effaça.
La seconde peau qui recouvrait le bâtiment, l’isolant de l’extérieur et créant une barrière thermique efficace, s’écarta et se referma en quelques secondes. La température extérieure dépassait les 50 degrés et rendait mortelle toute incursion non protégée. Sans compter les rayons dangereux, invisibles à l’œil, qui déclenchait toutes sortes de maladies et réduisait l’espérance de vie de ceux d’en bas à peau de chagrin.
Dehors, la brume dissimulait les façades des structures. Seules les rambardes métalliques marquaient les pistes qui s’envolaient en de multiples circonvolutions au-dessus de la ville. Ca et là une tour gigantesque lançait sa flèche gigantesque vers le cosmos.
Très loin au dessous, un grondement sourd se faisait entendre. C’était la rumeur qui montait des rues inférieures, celles qui étaient dévolues à ceux d’en bas, qu’on ne fréquentait ni ne voyait jamais.
Un des anciens compagnons de vie d’Extrême Douceur lui avait un jour expliqué qu’il y avait très, très longtemps, un génie visionnaire nommé Léonard de Vinci avait conçu des villes construite sur ce modèle.
Le rêve égalitaire avait longtemps condamné la réalisation de ce projet.
Puis l’Agence avait compris qu’on ne pouvait pas échapper à la division de l’humanité.

- Elle est partie, Maman ?
Le petit garçon levait ses yeux innocents sur l’androïde qui se tenait assis à côté de lui, les bras croisés.
-Oui, répondit le serviteur, Dame Delasoy avait à faire ce matin.
Il articulait chaque syllabe avec une application particulière qui étonnait toujours l’enfant.
- C’est où qu’elle est partie ?
- On ne dit pas « c’est où que », on dit : « où est-elle partie ? »
- D’accord, acquiesca l’enfant docile, "où est-elle partie" alors ?
- Je crois qu’elle avait un rendez-vous de contrôle avec ses clones.
L’enfant acheva de boire sa ration et s’essuya machinalement la bouche du revers de la manche de son vêtement, comme il le faisait tous les jours. Les textiles ne se tachaient pas. Tout s’évaporait.
- C’est quoi, un clone ? reprit Pari Tenu après un temps de réflexion.
L’androïde leva vers lui des yeux étrangement absents et récita :
- Un clone est un double d’un individu donné. Il est fabriqué à partir des cellules de cet individu et lui sert de banque d’organes tout au long de sa vie.
- Ah, fit l’enfant dubitatif.
Les coudes posés sur la table, il appuyait son petit visage entre ses mains, les yeux dans le vague, laissant ses pensées errer au gré des lumières changeantes de la pièce.
- Et c’est où qu’on peut les voir, les clones, reprit-il après un silence, et combien elle en a maman, et pourquoi…
- Doucement, une question après l’autre, l’arrêta Xo13. Qu’est-ce que tu veux savoir, où ils vivent et à comment on les utilise ?
- Oui c’est ça, fit l’enfant d’une petite voix piteuse.
Pour la deuxième fois de la matinée, il se trouvait pris en flagrant délit de défaut de communication et il savait ce qu’il pouvait lui en coûter.
- Eh bien, reprit l’androïde, les clones vivent dans la première ceinture…
- Dans l’espace ? le coupa vivement le petit garçon en relevant la tête.
- Oui, dans l’espace, on sait depuis longtemps que les organismes vivants y vieillissent moins vite… tu sais où se situe la première ceinture, n’est ce pas ?
- Oui, tout le monde le sait, mais, Maman, elle va les voir chez eux ? Je ne l’ai pas vu prendre son équipement d’envol !
- Non non, elle n’y va que tous les cinq ans, ce matin, elle va simplement assister à un contrôle…
- Dans la Tour de Verre ?
- Mais non tu mélanges tout ! jeta l’androïde exaspéré. La Tour de Verre c’est l’endroit qui assure la maintenance des gens qui ont cessé de vivre. Non le contrôle des clones se fait dans une salle spéciale…
- Ah oui ça y est, je me rappelle, une salle de contrôle par liaison extra-globale avec la stratos, déclara solennellement l’enfant.
- Oui, c’est cela : au cours de cette liaison, la personne qui veille sur les clones s’entretient par l’intermédaire d’un écran avec leurs propriétaires. Elle lui donne leurs bilans de santé et ensuite…
- Oui oui, je sais, s’enthousiasma Pari Tenu, après on les fait défiler pour que les gens voient si ils se portent bien !
- Oui, c’est indispensable pour se rendre compte de l’état du réservoir de santé qu’ils représentent… Un clone en mauvais état ne servirait à rien, il faut le supprimer. Ta Maman en a déjà usé cinq…
- Bon, ça suffit ! J’en ai marre des clones ! On y va, jeta soudain le blondinet en sautant de son siège. Tu viens, Xo ? C’est l’heure d’aller nager !
L’androïde se leva et prit la main de son petit maître. Il ne supportait pas l’eau, ses circuits rouillaient. Il resterait sur le bord du bassin et surveillerait l’enfant qu’un robot spécialement dédié à cette tâche dirigerait.
Ce matin, un autre enfant serait de la partie, Pari tenu avait invité un occupant de la structure voisine, un autre petit blond comme lui. Ce n’était pas la première fois. Les enfants riaient et s’éclaboussaient sous la grande coupole. Ils semblaient apprécier ce genre d’activités.
Cela les rendait "joyeux", disaient-ils.
Xo se demandait ce que cela faisait d’être "joyeux".

A bord du speeder lancé à toute allure, Douceur Extrême échangeait avec son assistante les dernières nouvelles du cercle. Losange semblait toujours au courant des dernières tendances, des plus fraîches rumeurs. Cela rendait son attachement irremplaçable.
Plus d’une fois on avait proposé à son Assistée de la lui racheter. Mais Extrême Douceur n’avait jamais jugé opportun de répondre à ces offres d’achat, qu’elle jugeait fort déplacées.
Losange lui appartenait depuis des années, elle-même était encore en "activité crédible" lorsqu’elle l’avait engagée, et sa présence quotidienne à ses côtés, sans parler du fait qu’elle gérait son emploi du temps, lui était indispensable.
Elles avaient connu l’aventure de la maternité ensemble, l’assistante ayant fourni les ovules nécessaires à la fécondation in vitro. Et choisi ensemble sur catalogue le profil du donneur de sperme. Cela créait des liens.
-Ah, s’exclamait Extrême Douceur en souriant à travers son casque, quelle bonne idée tu as eu de nous organiser cette soirée ! Vraiment cette nouvelle console est géniale ! Quand je pense que les premiers initiés à cette technologie se contentaient de faire semblant de taper dans une balle pour en ressentir les effets ! Et je ne te parle même pas de ceux qui mimaient la course en forêt sur un tapis de caoutchouc ! Les pauvres, s’ils avaient su qu’un jour il suffirait de se brancher pour s’envoler en montgolfière et ressentir la sensation des bulles de champagne sur la langue !
- Oui renchérit Losange. Délicatement installée sur son siège rose et or, elle surveillait la trajectoire du speeder sur l’écran de contrôle tout en bavardant avec son assistée. Sans compter que de cette manière on peut survoler des endroits autrefois paradisiaques qui n’existent même plus ! Tu te souviens du Delta du Gange ou de ce merveilleux endroit, comment s’appelait-il, déjà… Bali ou Les Chéchelles…
- Les « Seychelles », Losange ! la corrigea Extrême douceur en riant.
Cette Losange, elle l’amuserait toujours ! Oui c’était vraiment beau, poursuivit-elle, rêveuse, et dire qu’aujourd’hui tous ces endroits splendides sont recouverts par les eaux ! Il faut croire que nos ancêtres ont été vraiment stupides pour laisser se propager de telles catastrophes !...
- Oh arrête avec ça ! On n’est pas bien là, franchement ? Et puis je vais te dire une chose, ajouta-t-elle avec un clin d’œil à l’intention de sa compagne, on est plus tranquilles entre nous, non ? Tu te souviens de toutes ces populations de miséreux qui ont disparu grâce à l’effet du réchauffement climatique ? Eh bien ça a résolu d’un coup le problème de la surpopulation, non ? Alors réjouissons nous d’avoir eu le privilège de survivre à tout cela, quand tu vois le niveau de confort technologique que nous avons atteint ! Pense à la merveilleuse soirée que nous allons vivre, flottant dans un ciel sans nuages au milieu de paysages magnifiques, en bonne compagnie et …
- Et tout ça sans bouger de son siège ni avoir à ressentir ensuite les effets pervers de l’alcool ! la coupa Extrême Douceur tout en appuyant au creux de son poignet sur l’implant qui lui permettait de visualiser mentalement son fils en permanence. Tout allait bien, il s’ébrouait dans l’eau avec son petit camarade sous le regard aiguisé de l’androïde.
-Tu as raison, reprit-elle rassurée en se tournant à nouveau vers sa compagne. quelle délicatesse, quel raffinement ! Nous vivons vraiment des temps merveilleux !
Tout en bas, plusieurs dizaines de mètres sous le bolide volant, de pauvres hères en haillons faisaient tourner les turbines qui alimentaient les batteries nécessaires au bien-être de ceux d’en haut, les Respectables.

- Que …Quelle…quelle heure est-il ?...
Un grognement sourd répondit à la question à peine formulée d’une petite voix tremblante.
Il faisait encore noir.
Dans l’obscurité, une silhouette chercha à tâtons sous la couverture le cadran lumineux de sa montre, dernier vestige de sa vie d’autrefois.
Une puanteur insupportable régnait autour d’elle, mêlant des remugles de sueur, de crasse et d’excréments. A ses côtés, d’autres corps se retournèrent maladroitement, engourdis par la fumée qui avait envahi la grotte.
Cependant, le feu se mourait.
Déjà les premières lueurs de l’aube se profilaient à travers les planches qui obstruaient l’entrée de la caverne.

A l’idée du froid polaire qui l’attendait dehors, l’ombre squelettique frissonna et se serra contre ses compagnons. Il leur faudrait encore errer pendant des heures à la recherche de quelques fruits sauvages monstrueux, irradiés, bien sûr, mais qui avaient au moins le mérite d’avoir survécu à l’hiver nucléaire.
Du fond de la grotte lui parvint des bribes de pleurs, vite étouffés.
Il lui revint que c’était aujourd’hui qu’ils devaient se débarrasser du corps des enfants. Combien seraient-ils à subsister finalement ?
Les derniers nés n’avaient pas survécu. Le sien non plus. Elle ne l’avait même pas regardé.
On ne pouvait qu’approuver ce choix de la nature car leurs malformations étaient telles qu’ils n’avaient rien d’humain.
Certains avaient proposé de les manger.

Enfin elle trouva sa montre. Le cadran ne brillait plus. La pile devait être morte, elle aussi. En soupirant, elle se recroquevilla et essaya de se réfugier à nouveau dans le sommeil. Le froid la transperçait.
Machinalement, elle tenta de remonter sur elle la maigre couverture qui la recouvrait à peine. Son plus proche voisin protesta dans son sommeil et tira sur l’étoffe en lambeaux qui se déchira un peu plus. Avec un crissement qui réveilla en elle un souvenir enfoui sous son crâne chauve : l’extrême douceur de la soie.

Alors, avant de basculer dans l’inconscience, elle se souvint.
La sensation la traversa, fugitive : elle avait à nouveau fait ce rêve où elle avait cent un ans.

dimanche 12 décembre 2010

CENDRES poème décembre 2010


De la rivière du dieu monte une brume blanche
Comme un écrin précieux pour la dentelle de branches
Des arbres dénudés par le froid de l'hiver

Le soleil a jailli sur le grand champ glacé
Que le gel a figé dans les cristaux rosés
Surgissant de la crête argentée des fougères

Là d'où je viens
Les femmes portaient l'épée et le prix de l'honneur
signifiait que tuer valait mieux que tomber

Là d'où je viens
Les femmes aux cheveux blonds et tuniques brodées
Refusaient de courber la tête devant l'envahisseur

J'ai reconnu ma terre
Mais où sont les païens
Qui vivaient autrefois sur ces enclos sacrés

Ou sont donc passées les guerrières
Les filles aux longs cheveux flottant
Que sont devenues les prières
Hurlées sous les bandeaux d'argent

Enterrés les torques des chefs
Boucliers tendus vers le ciel
Bijoux gravés, émaux vermeils
Avec les hommes libres et les serfs

Moi qui suis du sang de ces femmes
J'honore la déesse avec mes sortilèges
Je contemple le ciel et fais tomber la neige
Mais
Sous le disque éclatant du soleil de décembre
je m'interroge
Les Tribus ont-elles toutes abdiqué sous la Toge?

Moi qui porte l'or et la flamme
Je préfère mourir que me rendre
Car d'acier est trempée la lame
De mon coeur brûlant sous la cendre

jeudi 9 décembre 2010

MORTELLE poème décembre 2010

Je voudrais avoir ma fontaine
Etre l'objet d'un culte ancien
Qu'on guérisse à mon eau ses peines
Qu'on dévie pour moi son chemin

Etre une déïté païenne
Aux longs cheveux tressés d'or fin
Qui de vos vies tiendrait les rênes
Et saurait maîtriser vos destins

Hélas je ne suis qu'une humaine
Une mortelle qui rêve et qui feint
D'asseoir son pouvoir sur vos chaînes
Lorsque vous me tendez les mains

Mais j'entends et fuis les menteurs
Le silence est ma vérité
Je regarde, je ris, je pleure
C'est si bon d'attendre l'été

Je retournerai aux fontaines
Seule ou à vos côtés
Je pourrai y mirer ma traîne
De princesse de conte de fées

Sans regret pour la déïté
Qui paraît quand la lune est pleine
Parce que seule à l'heure des phalènes
Elle ignore tout de la beauté

De ce monde qui finira
Quand le temps qui n'existe pas
Dans la brume nous emportera
Je le sais au son de ta voix

mercredi 8 décembre 2010

YES OF COURSE poème 2010

Is red red
Is green green
Is yellow yellow

Yes of course
Are you sure
Yes I am

But you're wrong
It's only light
And your brain

My brain
Yes of course
Your brain
your eyes
Your own construction of the world

I don't understand
Naturally you can't
You're not programmed for

I'm not a computer
Are you sure
Yes of course
I'm a person

What do you mean
A conscious human being
Created in the model of God

There's no God
Are you sure
Yes of course

How do you spell God
G.O.D.
Good Old Discussion

I'm shocked
Yes of course
God is a creation of human mind
Not to be frightened of death

So what happens after death
Nothing
Dust
We're all star dust

Star dust
Are you sure
But true life
Paradise
Miracles

Wonderful ideas
But false

Are you sure
No I'm not
For who could ever be sure of anything in this world

mardi 7 décembre 2010

UP STRAIGHT IN THE SUNSHINE huile sur toile 2010

HERE IT IS poème 2010

Sometimes
it comes to me
Like a wave
Submerging sea walls
Like a windy storm on my land
Like a sparkling star in my night
Like a rising sun on my own landscape
A smile on your face
My hand in your silky hair

More and more often
It comes
When you are there
Or not
When I can see your eyes
Or not
When I can hear your voice
Or not

Like a tiny flower in the winter grass
Like the snow slowly covering the hill
Suddenly
Peacefully
It comes
Joy

lundi 6 décembre 2010

ALOYS poème 2010

Dans ton rêve
Un appel
Tu sursautes
Aloÿs

Ton cheval
Ton couteau
Dans tes chausses
Aloÿs

La forêt
Le corbeau
Le signal
Aloÿs

Tes blessures
La nuit noire
Leurs murmures
Aloÿs

La jeune fille
Ses yeux verts
Ta vision
Aloÿs

Le ravin
Le destin
Tes yeux clos
Aloÿs

Dans la nuit
Ton cheval
Sous la lune
Aloÿs

vendredi 3 décembre 2010

UNE ODEUR DE NEIGE huile sur toile 2010

VIRGINITE poème 2010


Sur la lande neigeuse et vierge de nos pas
La petite maison de pierre reste immobile
Elle contemple les champs, les murets et les bois
Protégée par les frondaisons graciles

Que le givre cisèle d'une dentelle exquise
Le silence est total, la solitude attise
Le plaisir d'être là, en vie, et maintenant
Loin, trés loin de ce monde, obscur, indifférent

Que j'ai fui pour chercher la paix dans ce pays
Où j'ai trouvé la joie, la confiance infinie
L'étendue blanche et pure qui s'ouvre devant moi
Me crie que je n'ai qu'à ouvrir les bras

Pour que s'arrêtent enfin les aiguilles du temps
Que se pose sur moi le souffle de l'instant
Rayant à tout jamais les blessures du passé
Car j'ai trouvé la clé du Royaume des fées